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Dr. Suzanne Noël, la fondatrice du Soroptimist International d’Europe, était l’une des premières femmes en France à se spécialiser dans le domaine de la chirurgie esthétique et reconstructrice. 

 

A l’occasion de la Journée Internationale de la Tolérance Zéro à l’égard des Mutilations Génitales Féminines (MGF), Dr. Ghada Hatem-Gantzer, spécialisée en chirurgie de reconstruction et de réparation des mutilations sexuelles et fondatrice de la Maison des Femmes en Seine Saint-Denis, a accepté de partager avec nous ses réflexions. Dr. Hatem-Gantzer sera à la Réunion des Gouverneures à Lucerne, ou elle donnera une session interactive en français sur son travail auprès des femmes victimes de violences.

 

 

La Journée Internationale de la Tolérance Zéro à l’égard des Mutilations Génitales Féminines nous rappelle qu’il s’agit malheureusement d’un problème encore très actuel. Quel constat faites-vous aujourd’hui ? Quels changements ont eu lieu depuis que vous exercez?

Je suis gynécologue depuis plus de 30 ans, et le principal changement que j’observe est la meilleure connaissance par le public de cette question y compris par les patientes elles-mêmes, même si c’est loin d’être suffisant. De nombreux acteurs sont engagés dans la prise en charge et dans la prévention, ce qui là encore est réconfortant, mais les résultats sont loin du compte. Même si l’excision est interdite dans près de 30 pays africains, elle y encore réalisée sans condamnations, et les résultats rapportés par l’Unesco font état d’une régression très lente des pratiques. De plus, nous savons maintenant que l’Afrique est loin d’être la seule concernée, la pratique étant également fréquente en Indonésie, en Malaisie, au Daghestan en Russie…

Certaines publications sont très inquiétantes, qui montrent la progression de la médicalisation de l’excision dans des pays tels que l’Egypte. C’est-à-dire sa réalisation dans des centres de soins (hôpital, dispensaire) par un personnel soignant dont la mission première est de protéger et de soigner ! D’autres publications rapportent la reprise de la pratique chez des femmes majeures, mariées et parfois mères. Leur mari n’étant pas respecté car doté d’une femme impure, et souhaitant par exemple se lancer dans une carrière politique, exige de sa femme une soumission à cette tradition qu’elle avait réussi à éviter plus jeune.

Différentes pratiques moins mutilantes semblent parfois se substituer à l’excision comme les pincements ou piqures, sans doute pour maintenir la tradition symbolique du passage au statut de femme, mais les patientes ignorent en général la nature précise de ce qu’elles ont subi, et sont tout aussi traumatisées.

Bien sûr, aujourd’hui en France, la pratique de l’excision est sans doute très rare grâce aux procès initiés il y a 30 ans et à l’implication d’avocats et de médecins, tels le docteur Emmanuel PIET qui a généralisé l’examen systématique des petites filles dans les centres de Protection Maternelle et Infantile (PMI), avant et après un retour au pays. Malheureusement, certains parents contournent cette difficulté en faisant exciser leur fille plus tard, à l’âge où on ne consulte plus en PMI, contribuant ainsi à simplement décaler l’âge de l’excision.

 

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Lorsque vous dirigiez la maternité de Saint Denis, vous y avez créé un service de reconstruction et de réparation des mutilations sexuelles. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce service?

La motivation pour créer et développer cette unité est née de mon intérêt pour ce sujet depuis plusieurs années, allié au grand nombre de femmes issues de l’immigration sub-saharienne que la maternité prend en charge et qui sont excisées. Il m’a semblé que l’hôpital de Saint-Denis, (et en fait l’ensemble de la Seine Saint-Denis) était le lieu le plus pertinent pour offrir cette prise en charge. Ma préoccupation en faveur de l’égalité femme/homme, qui remonte à l’enfance et qui a été largement renforcée par mon métier de gynécologue a sans doute aussi pesé dans la balance.

 

 

A la Maison des Femmes de Saint-Denis, vous prodiguez des soins pour les femmes victimes de MGF. Quels soins recherchent les femmes qui poussent la porte de la Maison?  Quels soins sont prioritaires selon vous ?

Les femmes qui viennent à notre rencontre ont différents besoins : être examinées et comprendre précisément de quoi elles sont victimes ; comprendre les conséquences de l’excision sur leur santé, physique, psychique et sexuelle ; connaitre les possibilités et les modalités de la réparation ; avoir une meilleure connaissance de leur sexualité et une prise en charge de leur traumatisme. Mais elles apprécient également de partager leur histoire avec d’autres patientes, ce que nous leur offrons à l’occasion de nos groupes de paroles mensuels. Et elles souhaitent avoir une meilleure estime d’elles-mêmes et se réconcilier avec leurs corps, raison pour laquelle nous avons mis en places des ateliers (dessin-photo/psycho-motricité/karaté/danse orientale) ainsi qu’une offre corporelle gratuite (ostéopathie et massages ayurvédiques).

Ce qui « marche », c’est cette approche « care » avec toute une chaine de soignants impliqués. Mais les soins prioritaires sont sans doute la rencontre avec un personnel soignant qui connait le sujet et peut les aider à mieux en comprendre les enjeux et les conséquences, associée à une prise en charge du psycho-trauma.

 

 

Quelles actions recommanderiez-vous pour prévenir le phénomène des mutilations génitales féminines dans les régions affectées ?

Nous sommes des soignants de terrain, actifs auprès des populations que nous accueillons et connaissons. Mais nous sommes sans doute moins pertinents que des ONG impliquées depuis de nombreuses années pour les actions à mener dans les pays où la pratique est pérenne : Tostan, Equipop, le GAMS…qui œuvrent également pour l’indispensable réinsertion des exciseuses.

Parallèlement, de nombreux acteurs s’interrogent sur la pertinence d’un message « zéro tolérance » qui ne semble pas convaincre et qui est sans doute impossible à mettre en œuvre d’emblée. Il nous faut sans doute repenser les messages de prévention.

Pour autant, il me semble que sans impliquer les hommes et sans déconstruire le discours qui s’appuie sur de fausses injonctions religieuses, nous aurons du mal à progresser en France. Il faut donc convaincre les chefs de communauté, les éducateurs et les imams. S’appuyer sur les artistes engagés dans la lutte et respectés par leurs communautés, ouvrir le dialogue dans les collèges et lycées voire dans les mosquées, continuer à organiser des événements pour communiquer sur le sujet et promouvoir les campagnes de prévention telle celle d’Alert-Excision dont la Maison des femmes est la marraine.

Sans oublier la promotion de l’égalité femme/homme qui nécessite un incessant travail d’éducation et d’information !

Et pourquoi pas, créer un groupe de parole dédié aux hommes à la Maison des femmes ?

 

 

Le Soroptimist International d’Europe est constitué de femmes volontaires appartenant à diverses professions, organisée en Clubs dans plus de 60 pays. Quels conseils leur donneriez-vous pour soutenir efficacement la lutte contre les MGF ou aider les victimes?

Le SIE serait un fantastique relai d’information auprès des femmes issues des communautés où l’excision est pratiquée, et auprès de toutes les autres femmes qui, mieux informées, pourraient s’impliquer dans leur entourage immédiat. Par exemple dans les écoles de leurs enfants ou sur leur lieu de travail, pour la diffusion des connaissances et la prévention, voire l’organisation d’événements culturels et artistiques. Des levées de fond ou des actions de volontariat pourraient aussi permettre aux centres intégrés et aux associations qui prennent en charge les femmes d’offrir gratuitement des soins essentiels, tels que les prises en charge corporelles et les différents ateliers.

 

 

Souhaitez-vous partager d’autres réflexions ?

Nous avons un grand projet avec l’équipe de la Maison des Femmes : créer un réseau de « Maison des femmes » dans toute la France pour accueillir les 250 000 femmes victimes de violence.

Pour y arriver, notre Marraine Inna Modja sera une nouvelle fois à nos côtés.  Nous lançons ensemble le mouvement : Soyons des Héroïnes. Nous appelons artistes, célébrités, entreprises à nous rejoindre pour déployer des Maisons des Femmes partout en France.

Pour impulser cette dynamique solidaire, nous organisons un grand événement : le Concert des Héroïnes. Il  sera diffusé partout en France, via les réseaux sociaux, le 3 mai prochain.
A nos côtés, soyez  des Héroïnes, pour lutter contre les violences faites aux femmes : https://www.gofundme.com/maisondesfemmes

 

 

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Dr. GHADA HATEM-GANTZER 
Ghada Hatem-Gantzer est une gynécologue-obstétricienne franco-libanaise née en 1959. Elle quitte le Liban en 1977 pour étudier la médecine à Paris et fait carrière dans la gynécologie obstétrique. Elle devient cheffe du service maternité à l’hôpital Delafontaine de Saint Denis en 2011. Celui-ci est fréquenté par des patients vivant parfois dans une grande précarité et venant de nombreux pays, et pas moins de 14 à 16% des patientes sont excisées. Ghada Hatem-Gantzer se forme auprès de l’urologue Pierre Foldes et crée un service de reconstruction et réparation des mutilations sexuelles au sein de l’hôpital. En 2016, elle fonde la Maison des Femmes à Saint-Denis, première structure en France à offrir une prise en charge globale des femmes victimes de violences. Victimes d’excision, de viols, d’incestes, de violences physiques et psychologiques, ces femmes trouvent un accompagnement et des soins adaptés à leurs besoins, grâce au large réseau de partenaires mise en place par le Docteur Hatem-Gantzer. L’unité crée par Ghada Hatem-Gantzer pour prendre en charge les femmes excisées a reçu le label « Centre Fleur du Désert ».