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Aujourd’hui, je vais vous raconter l’histoire de notre projet Papillon.

Je suis membre du SI Lavaux depuis plus de 20 ans et je lis régulièrement le Trait d’Union ainsi que le « SI Forum » et les newsletters du SI. Je n’ai souvenir d’aucun récit portant sur un projet qui n’est pas arrivé à son terme. Convaincue de l’utilité d’un tel retour, j’ai voulu vous parler de notre expérience au Kenya.

 

En 2008, Évelyne (une amie kényane vivant en Suisse depuis 20 ans) nous a parlé des filles des pays en voie de développement qui ne vont pas à l’école quand elles ont leurs règles, en raison du manque de protections périodiques.

 

Alors que nous réfléchissions à la manière dont nous pourrions les aider, nous avons entendu parler d’un club SI kényan qui cherchait à fournir des protections périodiques aux filles. Nous avons eu l’idée de proposer notre aide. Nous avons approché le club, un plan a été élaboré et le projet Papillon est né.

 

Le plan

Le plan était de produire des kits de protections périodiques réutilisables et de les fournir avec des instructions sur leur mode de lavage et sur les maladies sexuellement transmissibles, en swahili et en anglais.

 

  • L’atelier de couture et deux machines à coudre mécaniques (l’électricité n’étant pas encore arrivée sur place) nous seraient gratuitement fournis par l’ONG Help Khachonge.
  • Nous apporterions le capital de départ et recruterions des femmes locales pour travailler au sein de l’atelier.
  • Le projet devrait être financièrement indépendant et autonome au bout de cinq ans.
  • Évelyne se rendrait régulièrement sur place et remplirait un rôle de liaison entre l’équipe kényane du projet et nous, ainsi que de promotion des kits auprès des écoles.

 

Avec le soutien financier d’autres clubs suisses (Nyon, Broye et Vevey) et de particuliers, nous avons lancé notre projet en 2009.

 

L’atelier

La réalité culturelle

Je me suis rendue sur place plusieurs fois et j’ai travaillé avec les couturières. Deux de mes observations illustrent certaines des difficultés rencontrées :

 

  1. Un jour, quand je suis arrivée, j’ai constaté qu’une des couturières coupait le tissu en bandes beaucoup trop petites. La femme chargée de cette tâche la veille avait fait une erreur. La responsable n’ayant rien dit, la couturière suivante a continué de la même façon…

 

  1. Tout en cousant, j’ai parlé du sujet des règles avec les femmes. Toutes étaient mères de filles adolescentes ou adultes, et pourtant aucune d’entre elles n’avait évoqué l’hygiène menstruelle avec leurs filles. J’ai pu me rendre compte de leur immense embarras pour parler de ce sujet « honteux ». Et j’ai donc réalisé que nous ne pouvions pas compter sur elles pour promouvoir les kits…

Cours d’hygiène menstruelle dans la région du mont Elgon, à trois heures de route de Khachonge

 

La réalité économique

Deux ans ont passé, avec plus de 400 kits en stock, avant que nous ne soyons contactées par la femme du gouverneur local, qui cherchait des protections périodiques à distribuer dans les écoles afin de promouvoir l’élection à venir de son mari. Cela nous a finalement permis de vendre la totalité de notre stock (à prix coûtant) à des écoles de la région et de garantir nos ventes pour les trois années suivantes.

 

Pendant ce temps, l’électricité est arrivée sur place, et nous avons acheté deux machines à coudre électriques et programmé d’augmenter la production et de réduire le coût par kit. Tout semblait bien se passer.

 

Vers la fin de la quatrième année de production, un incident nous a fait réfléchir

Évelyne est arrivée à l’atelier à l’improviste et l’a trouvé fermé. Les couturières, qui recevaient encore leur salaire, lui ont expliqué qu’elles avaient terminé les 300 kits, ce qui correspondait au nombre que la femme du gouverneur s’était engagée à acheter.

 

Elles avaient le sentiment d’avoir fait leur travail et de mériter leur salaire pour le restant de l’année. Quand nous avons demandé à la responsable de l’atelier pourquoi elle ne nous avait pas prévenues de l’absence des salariées, elle a répondu de la façon suivante : « Si je dis quelque chose, la personne est blessée, et si j’ai besoin d’elle le lendemain, elle me fait faux bond. Et puisque nous avons encore besoin les unes des autres au sein de notre communauté, je n’ai rien dit. »

 

La fin

Au début de la cinquième année de production, il est apparu clairement que nous n’atteindrions pas notre troisième objectif, celui de rendre le projet autonome. Nous avons donc décidé de parler aux couturières.

 

À notre surprise, elles ont réagi passivement à l’idée de perdre leur travail et de voir s’arrêter la fourniture de protections périodiques aux filles de la région. Nous avions déjà des difficultés à trouver un nouvel acheteur, et cela a contribué à notre décision de ne pas injecter de nouveaux capitaux pour maintenir l’activité de l’atelier.

 

Au début de la sixième année, après avoir transformé le dernier rouleau de tissu en serviettes hygiéniques réutilisables, nous avons fermé l’atelier et mis un terme à notre projet.

 

Conclusions

Sur cinq ans, nous avons produit et distribué environ 1 800 kits, qui ont permis d’assurer l’hygiène menstruelle d’autant de filles pendant deux ans. Nous avons permis à huit femmes d’apprendre à coudre et de gagner un petit revenu. Toutefois, nous n’avons pas atteint notre troisième objectif : l’autonomie et la pérennisation de l’atelier. En cause, les différences culturelles qui sont apparues au cours du projet et qui étaient incompatibles avec une réussite totale.

 

En publiant nos expériences, et peut-être surtout celles qui n’ont pas été couronnées de succès, nous espérons aider d’autres clubs à éviter de reproduire les mêmes erreurs.

 

Ruth Wermelinger

SI Lavaux (Suisse)

 


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